En Vrac & sans Trac

textes & photos : ©RichardB

La solitude de l’Adam

Nouvelle

Voilà, je suis seul. Comme personne ne l’a jamais été. Sauf Adam, peut-être, au début. Et encore, lui ne savait pas que la solitude existait. Depuis, l’homme a toujours eu des problèmes avec la solitude. Il la fuit sans cesse ou la recherche désespérément. Être ou ne pas être… seul.

Moi, je n’ai pas eu le choix, je suis le nouvel Adam. Pas de pomme pour sauver ma solitude en chargeant l’humanité de remords. Un signe, une parole pourraient inverser cette fatalité, comme dans le Jardin ? Mais je ne suis pas croyant, alors point de salut miracle.Amarres rompues, liaison coupée. Perdu de vue, sans nouvelles. A la dérive l’Adam, pour le restant de ses jours. Seul… Déjà dit ! Je répète mes mots mais les choses se répètent au royaume de la solitude. Et le temps est long. En fait, ce n’est pas un royaume, même pas un no man’s land… puisque j’y suis. Ce n’est même pas un endroit, car on n’y est jamais au même… endroit. Je n’ai pas froid, je n’ai pas chaud, je suis bien protégé, je n’ai pas faim, ni soif non plus. Tout est prévu ici. Même pas de déprime, les perfusions calmantes, ça sert à quoi ?
Alors, je profite de ma solitude. Pleinement. Dans la vie d’un homme il existe des moments privilégiés qu’il ne lui faut pas rater. C’en est un pour moi, je vais enfin pouvoir regarder l’existence dans le fond des yeux, jusqu’au bout de son univers, en toute quiétude, sans pollution extérieure, sans alibis inventés, sans aléas qui fabriquent les alibis. Seul, face à… rien. Rien entre Ça et moi. Il y a une forme de sublime dans la solitude extrême, la vérité n’a plus à se travestir. Bien, bon, beau, morale, amour, art, tous ces vêtements de l’humanité… dans le panier à linge de la solitude !
Comme vous certainement, j’avais déjà croisé la solitude. Enfant perdu en forêt, amant rejeté par une femme, complice trahi par l’amitié, homme trompé par ses convictions. Les convictions, oui, car elles ne vieillissent pas toujours en phase avec le monde, vous abandonnant souvent en compagnie de leur désastreuse certitude. Celle de n’être jamais seul.
J’avais déjà croisé votre solitude. Mais je n’avais encore jamais eu l’opportunité de penser à l’idée elle-même. Est-ce la même affaire que celle qui isole un être dans le tumulte d’une société où il n’a plus sa place, ou bien celle qui le rejette dans un espace sans autres, le regard égaré vers un mieux qui n’existe pas ? Solitude en cité ou solitude en désert. L’une alliée à la schizophrénie, l’autre au mysticisme. Pas de génération spontanée, sauf pour Adam.
La solitude est toujours enfant du désir de l’homme… ou de son rejet. C’est son référent.
De quoi parle-t-il ? pensez-vous. Son isolement lui monte à la tête, il devient fou ! Oui, vous avez raison je vais le devenir, c’est la suite inéluctable de mon histoire. Mais pas maintenant, attendez, j’ai assez d’air pour philosopher quelques lignes encore. On me le doit, c’est tout ce qui me reste, ce qui m’appartient, ma solitude. Et je la veux grande, la plus grande, la plus intense jamais vécue par un homme. Adam, pauvre solitaire de seconde division, je vais te dépasser dans l’histoire de l’univers, tu ne seras plus l’unique en la matière.La folie, disiez-vous ? la folie, seule issue ? Peut-être, mais avez-vous pensé au suicide ? Encore faut-il avoir la volonté de cet acte suprême anti-solitude. Beaucoup l’ont eu ce lâche courage. Moi, je n’y pense même pas, je suis trop bien. D’ailleurs, je ne pourrai pas y arriver, je n’ai aucun moyen matériel de passer à l’acte. Si ce n’est de cesser de respirer. Mais essayez, vous verrez, c’est impossible. La vie, cette formidable machinerie, accroche à vos poumons ses atomes d’oxygène, règle son débit sans tenir compte de vos aspirations. Cette vie a un instinct de survie trop développé pour vous laisser la maîtrise du choix. Alors, il faut attendre, la fin de la bouteille d’oxygène.

Comment puis-je être assuré d’être si seul ? Il y a peut-être quelqu’un qui peut m’aider, me secourir, essuyer les larmes de désespoir que je n’ai pas encore libérées, mais qui vont perler dans quelques temps, me tendre la main, arrêter cette errance qui s’annonce éternelle. Vous en voulez encore des clichés ? J’ai tout mon temps pour vous en proposer… Non ! Je le dis bien haut, pour moi tout seul, personne ne peut m’aider ! Ils sont tous trop loin de moi. Aussi assurés de leur impuissance que je le suis de leur non venue. Et si aucun scientifique ne peut empêcher ma solitude, aucun psy ne pourrait en atténuer ses effets. Elle est mon problème. A jamais. Enfin, pour quelques temps encore.
Mais je m’éloigne trop de mon sujet. Adieu ! à vous tous.
Votre Adam.

Le 13 février 2100, la N&ESA a diffusé un communiqué signalant un accident gravissime sur la station de recherche de vie extra-terrestre, Solitude II. Cet épisode dramatique dans la quête menée avec acharnement par l’humanité pour rompre son isolement dans l’univers a causé la disparition du spationaute Adam B, alors qu’il effectuait une sortie en scaphandre, aux alentours de l’étoile 123WX. Adam B est le premier voyageur porté disparu dans le cosmos.

©RichardB Petits destins Nouvelles – édition à venir

2006 - Posted by | Mes Nouvelles

7 commentaires »

  1. Ca commence tres bien. Puis je suis pris par le style et alors arrive le sens. Je m’inquiete et envisage d’appeler tous mes copains a la rescousse d’un blogueur genial et inconnu qui sombre dans une depression suicidaire. Puis je me dis « est-ce possible? » car j’avais bien lu quelque part que parfois, une depression pousse a bloguer. Des psychologues anonymes et amicaux viennenta u au chevet du blog de ces malheureux en leur tendant prudemment les mots et la main. Est-ce cela? Mais non, c’est de la science fiction: se jeter soi-meme une bouteille a la mer et etre et le message et la bouteille et la mer… tout ca dans l’espace dans un avenir lointain et peut-etre improbable.
    Pour m’en assurer, je lis le reste du blog. Bon tout va bien sous ton soleil. Mais ne nous faites pas des peurs pareilles!
    Le style est top!
    A+

    Rép. : Merci de ne pas avoir « sombré » avant la fin de la nouvelle.
    Non aucun pessimisme chronique chez moi, juste une attirance (dans mes écrits) pour approcher les limites, là où celà devient ceci, quand la lumière hésite au bord de l’ombre, quand les sentiments et la raison sont bousculés par le doute et côtoient le fantastique. C’est pour celà que j’ai apprécié « Kafka sur le rivage ».
    A bientôt sur nos blogs et merci pour ces encouragements.

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    Commentaire par patrick | 2006

  2. bonjour, je découvre votre blog par ce texte, je repense à une phrase de Réggiani « je ne suis jamais seul avec ma solitude » – très beau texte, merci.

    Rép. : merci à vous. Je vais placer régulièrement des « nouvelles » sur mon blog. Et je vais aller lire vos poèmes. A bientôt

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    Commentaire par daniel | 2006

  3. en lisant cette nouvelle je ne peux m’empêcher de penser à Bobin , ce chantre de la solitude…

    « Se taire: l’avancée en solitude, loin de dessiner une clôture, ouvre la seule et durable et réelle voie d’accès aux autres, à cette altérité qui est en nous et qui est dans les autres comme l’ombre portée d’un astre, solaire, bienveillant.
    (Souveraineté du vide) Christian Bobin
    bonne journée

    Rép. : la solitude est l’un des thèmes majeurs de l’existence (de l’essence ?) humaine et elle a suscité de bien belles pensées et de biens beaux textes comme celui que vous citez.

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    Commentaire par double je | 2006

  4. Très bien écrit et j’avoue avoir ressenti une angoisse durant la lecture. Heureusement tu es toujours bien sur notre planète.
    Cette angoisse est venue tout simplement du fait que j’ai pensé à une personne qui nous avons croisée lors de Tempora II (Annick) et qui n’a plus supporté cette solitude. Je me suis souvent questionné sur ce sujet. Je n’ai toujours pas de réponse intime.
    Franchement, très beau texte.

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    Commentaire par tripak bertju | 2010

  5. Nous avons une pensée pour Annick mon cher Patrick.

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    Commentaire par RichardB | 2010

  6. Comme toujours … Superbe, pénétrant évocateur et généreux … Tu donnes à « tes semblables » en rêvant peut-être à l’écho de tes paroles … La solitude offre-t-elle une caisse de résonance?
    Je pense qu’à la 4ème ligne, dans la deuxième phrase, tu devras changer le « vous » en « pour » … Personne ne l’a vu …C’est aussi bien : Envoutés par le texte, leur cerveau a « trouvé » le bon mot …
    Mon amitié se transforme en affection …

    roro

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    Commentaire par roro | 2011

  7. Roro, bravo ! Tu as gagné le titre de meilleur lecteur ! En effet, à force de torturer un texte pour le rendre toujours plus « parfait », on ne fait que créer des… imperfections.
    Je corrige, tant pis pour ceux qui ont raté ce raté 🙂
    Amicalement

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    Commentaire par RichardB | 2011


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